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Procès France Telecom : L’entreprise et les dirigeants condamnés pour harcèlement managérial

Procès France Telecom : L’entreprise et les dirigeants condamnés pour harcèlement managérial

Publié le : 18/02/2020 18 février févr. 02 2020

Le Tribunal correctionnel de Paris a rendu une décision inédite le 20 décembre 2019, concernant l’affaire France Telecom, en créant la notion de harcèlement moral institutionnel. 

En psychologie, les termes « harcèlement moral » sont utilisés pour la première fois en 1998, repris par le Code du travail en 2002 à l’article L 1152-1, le définissant par une interdiction posée par le fait qu’ « aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ». 

Au regard de la législation sociale, la reconnaissance du harcèlement moral est relativement récente et les commentaires jusqu’alors apportés par la jurisprudence portent sur le harceleur en tant qu’individu : salarié, employeur ou tiers à l’entreprise. 


Les juges du fonds, par leur décision créent et apportent pour la première fois une définition au harcèlement moral institutionnel, en condamnant l’ensemble d’un système managérial à l’instar des décisions jusqu’alors prises par les Conseils de Prud’hommes et les Tribunaux correctionnels, concernant uniquement des cas individuels.

Pour rappel des faits, à partir de 2005 une réduction des effectifs au sein de l’entreprise devient la priorité, avec un objectif fixé à 22 000 départs. 

Alertée du caractère irréalisable de la mesure, la direction de l’entreprise décide pourtant d’opter pour une politique de « marche forcée », ayant pour objet la mise en œuvre de pratiques visant à dégrader les conditions de travail des salariés et ainsi faciliter leurs sorties

L’équipe managériale est poussée à la réalisation de ces objectifs par des menaces de sanctions, ou à l’inverse de gratifications financières, et répercute ainsi la pression sur les échelons inférieurs.
Les formes de pression exercées sont, entre autres, les mutations forcées, la recrudescence du nombre de contrôles du travail, l’isolement du salarié, la surcharge de travail ou à l’inverse l’absence de tâches. 

Au final les 22 000 départs sont dépassés, mais au-delà, ces techniques entrainent une lourde vague de suicides, tentatives de suicides et dépressions. 

Pour le tribunal ces méthodes sont le fruit d’une politique d’entreprise qui vise un collectif de personnel ayant pour effet une dégradation des conditions de travail telle, qu’elle dépasse l’usage normal du pouvoir de direction et fragilise les salariés
La pression exercée sur les cadres, eux-mêmes victimes et pris « entre le marteau et l’enclume » pour citer le jugement, et la répercussion de ces pressions sur les équipes, mettent en évidence un harcèlement moral institutionnel, puisqu’il s’agit de « transférer insidieusement la responsabilité des actes sur la victime ». 

Sur le fondement de l’article 222-33-2 du Code pénal, l’entreprise a donc été condamnée le 20 décembre 2019 à la peine maximale de 75 000 euros. 
Les ex-dirigeants ont écopé quant à eux d’un an de prison dont huit mois avec sursis ainsi que 15 000 euros d’amende chacun, pour avoir mis en place une politique de réduction des effectifs « jusqu’au-boutiste ». Le Tribunal a également prononcé des peines de quatre mois de prison avec sursis et 5 000 euros d’amende, à l’encontre de membres de l’équipe de direction jugés co-responsable. Les juges ont retenu la période allant de 2009 à 2010, durée pendant laquelle s’est étendu le plan « Next » comme intitulé en interne. 


Le harcèlement moral collectif ou managérial ne sont pas des notions étrangères dans les prétoires, avec la reconnaissance d’une forme de harcèlement visant des méthodes de gestion du personnel qui entraînent chez un salarié déterminé, une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel (Cass. soc 10/11/2009 n°07-45.321). 

Mais, la décision rendue dans l’affaire France Telecom se différencie de cette vision classique qui oblige en l’existence d’un lien direct entre l’auteur des faits de harcèlement et le salarié, mais condamne le système managérial. Le Tribunal rappelle que les juges ne condamnent pas la décision de réduction d’effectif mais le fait qu’elle soit tellement en dehors du cadre légal par les techniques et moyens utilisés, en expliquant également que l’objectif initial des 22 000 départs été illégal, puisque les exigences liées à la transformation d’une entreprise doivent être conciliées avec le rythme d’adaptation des salariés

Quant aux arguments de défense, ils reposent principalement sur l’absence en droit pénal de la reconnaissance d’une responsabilité collective. Principe cependant pas absolu, puisque l’infraction de groupe existe pour plusieurs individus intervenant à la même infraction. 
Ici le tribunal rend une décision au regard de la jurisprudence en matière de complicité co-respective au délit de harcèlement moral. 


En considération de cet extrait du jugement : « Le travail nourrit et structure l’identité professionnelle mais aussi personnelle. L’emprise phagocyte la réflexion, elle isole la personne : elle provoque des failles telles que des conflits de valeurs, l’insatisfaction du travail bâclé, le doute sur la compétence, ou amplifie d’éventuelles fragilités antérieures. » le Tribunal correctionnel de Paris appui sa décision sur des références allant au-delà de la simple règle juridique, en citant La Fontaine ou Victor Klemper. 

L’exemple des salariés de Pôle emploi visé depuis 2014 par une information judiciaire pour harcèlement moral, mise en danger délibérée de la personne d’autrui, non-assistance à personne en danger, homicide involontaire et conditions de travail contraires à la dignité de la personne, suite à la suspicion de plusieurs suicides du a une « normalisation de la surcharge de travail », est révélateur de cette forme de violence managériale exercée sur les salariés par certaines entreprises.
S’agissant d’une première solution en la matière, probablement pas la dernière, l’arrêt rendu par le Tribunal correctionnel de Paris demeure susceptible d’appel, une décision de la Cour de cassation serait en toutes circonstances très attendue quant à la portée qui pourrait être faite sur cette caractérisation inédite du harcèlement moral institutionnel au regard, par exemple, des techniques modernes de management.


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