Le cadre juridique de l’abus de majorité
Publié le :
26/01/2025
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La notion d’abus de majorité a été introduite en droit français dans un arrêt de 1961. Héritant de la notion prétorienne de la théorie des abus de droit créée en 1915 (Cass, Chambre des requêtes, 3 août 1915, 00-02.378), l’abus de majorité s’est rapidement imposé comme un outil efficace en droit des sociétés.
Dès lors, plusieurs enjeux se dessinent concernant la mise en œuvre de ce droit, les conditions à respecter et le traitement réservé par la jurisprudence à de telles actions.
Le régime de l’abus de majorité
Pour exercer une action portant sur un abus de majorité, il est impératif de disposer au préalable de la qualité d’associé/d’actionnaire. Cette condition de recevabilité de l’action pourtant simple en apparence a souvent généré des conflits en présence de démembrements de titres sociaux.La Cour de cassation a récemment tranché en déclarant que l’usufruitier ne peut être privé de son droit de contester une délibération susceptible de porter atteinte directe à son droit de jouissance (Cass, civ 3ème, 11 juillet 2024, 23-10.013).
Concernant les conditions de fond, l’abus de majorité nécessite une décision prise en contrariété avec l’intérêt social et visant exclusivement à favoriser les intérêts des associés majoritaires (Cass, com, 15 janvier 2020, 18-11.580).
En pratique, l’abus de majorité est fréquemment invoqué lors de décisions relatives à la distribution des bénéfices. Il est souvent question de trancher entre des intérêts antinomiques, d’un côté les associés majoritaires qui privilégient généralement la mise en réserve des bénéfices (souvent parce qu’ils exercent également des fonctions de direction) et de l’autre les associés minoritaires, désireux de percevoir des dividendes.
La jurisprudence analyse ces situations en équilibrant les intérêts en présence. Pour exemple, constitue un abus de majorité une décision de mise en réserve des bénéfices alors que, cette même réserve s’élevait à huit fois le montant du bénéfice et vingt-quatre fois le montant du capital social et qu’aucun projet n’était en cours (Cass, civ 3ème, 6 avril 2022, 21-13.287).
La qualification de l'abus sera principalement déterminée par les circonstances existantes au moment de la décision contestée. Les juges examineront notamment les réserves disponibles dans la société, les projets envisagés ainsi que les éventuelles dettes.
La Cour de cassation a également pu caractériser un abus de majorité à l’encontre de dirigeants ayant procédé à une forte augmentation de leur rémunération tout en constatant une forte baisse du résultat de la société (Cass, com, 15 janvier 2020, 18-11.580).
Il est également important de rappeler qu’une décision prise à l’unanimité des associés ne peut être qualifiée d’abus de majorité (Cass, com, 8 novembre 2023, 22-13.851).
La sanction de l’abus de majorité
L’abus de majorité peut être sanctionné à double titre.D’une part, il est possible de demander la nullité de la délibération litigieuse. Concrètement, la décision prise sera réputée n’avoir jamais eu lieu. Toutefois, cette décision peut parfois être difficile à mettre en œuvre en raison du risque de nullité en cascade.
D’autre part, il est tout à fait possible pour les minoritaires d’obtenir réparation via des dommages et intérêts. Les associés majoritaires coupables d’abus de majorité devront indemniser les minoritaires de leur préjudice.
Aymeric THIZON - Juriste - Septeo Digital & Service