Le dépôt d’une marque sans intention d’utilisation est-il un acte de mauvaise foi susceptible d’obtenir la nullité de la marque ?
Publié le :
08/09/2020
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Les conditions d’enregistrement d’une marque et la protection qui lui est accordée en conséquence sont encadrées par un ensemble de textes internationaux, communautaires et internes.
Parmi eux, l’arrangement de Nice du 15 juin 1957, successivement révisé, permet aux pays d’adopter une classification commune des produits et services aux fins d’enregistrement des marques. Cette classification s’illustre par l’établissement de listes des classes (avec au besoin une note explicative) et de listes alphabétiques des produits et services concernés par cette classification.
Ce système de classification permet à un dépositaire d’enregistrer sa marque dans une série de classes numérotées, sans poser de limites. Ainsi, la question d’un enregistrement trop large et de son assimilation à un monopole ou à de la mauvaise foi de la part du dépositaire qui ne fera pas usage de la marque, peut apparaitre.
C’est à cette problématique qu’ont été confrontées les instances britanniques, dont la juridiction de renvoi a choisi d’interroger la Cour de Justice de l’Union Européenne.
Dans les faits, la société Sky e.a titulaire de quatre marques figuratives et verbales communautaires, et d’une marque verbale nationale, comprenant le terme « Sky » enregistrées selon le système de classification de l’arrangement de Nice dans un large nombre de classes, assigne la société SkyKick en action de contrefaçon de marque.
En effet, SkyKick use de ce signe pour la désignation de produits et services de migration entre plateformes de courrier électronique ou de stockage en « cloud », techniquement parlant dans les classes 9 et 38, dans lesquelles Sky e.a a également enregistré ses marques.
La Haute Cour de Justice de Londres souligne que Sky e.a a fait un large usage des marques en cause pour un éventail de produits et services relevant de ses domaines principaux d’activité, mais n’en propose aucun et ne projette pas d’en proposer dans l’avenir, au titre de la migration entre plateformes de courrier électronique ou de stockage en cloud, alors que les trois principaux produits proposés par SkyKick sont fondés sur cette activité.
Par conséquent SkyKick introduit une demande reconventionnelle en nullité de la marque avec pour prétention que les marques de Sky e.a ont été enregistrées pour des biens et services qui ne sont pas spécifiés avec suffisamment de clarté et précision. En appui de sa demande, la société évoque une jurisprudence antérieure en ce sens (CJUE 19 juin 2019 C : 2012 : 361).
La juridiction anglaise sursoit à statuer et pose plusieurs questions préjudicielles à la Cour de Justice de l’Union Européenne, dont l’interrogation concernant la mauvaise foi du dépositaire d’une marque dans des produits et services trop larges sans intention d’en user, pouvant s’assimiler à une situation de monopole contraire à l’ordre public, justifiant ainsi une demande de nullité.
Sur cette demande de nullité, la CJUE conclu qu’ « une marque ne peut pas être déclarée totalement ou partiellement nulle au motif que les termes employés pour désigner les produits ou les services pour lesquels cette marque a été enregistrée manquent de clarté ».
Au vu du droit matériel en vigueur au jour du dépôt de la marque, une liste exhaustive des causes de nullité est dressée, dont ne fait pas partie le défaut de clarté et de précision.
Par ailleurs la jurisprudence citée en appui aux prétentions de SkyKick ne peut affecter une marque déjà déposée au moment de son prononcé.
De plus, ce défaut de clarté et de précision n’équivaut pas en une carence de nature à être contraire à l’ordre public.
Sur la question de la mauvaise foi, la CJUE rappelle qu’au sens du droit communautaire, la mauvaise foi suppose la présence d’un état d’esprit ou d’une intention malhonnête, pour justifier la nullité.
Il conviendrait de démontrer que l’enregistrement de la marque sans intention d’en faire usage est constitutif de mauvaise foi par l’apport de preuves objectives quant à l’intention, au jour du dépôt, de porter atteinte aux intérêts d’un tiers ou d’obtenir, à des fins autres que celles relevant des fonctions d’une marque, un droit exclusif.
En l’espèce la mauvaise foi ne peut être présumée du fait qu’à la date du dépôt Sky e.a n’avait pas d’activité économique correspondant à la classification des produits et services visés par la demande.
La CJUE rappelle ainsi que pour apprécier la mauvaise foi, l’intention du dépositaire doit être prise au jour du dépôt, en plus de s’apprécier sur l’ensemble des faits de l’espèce.
Marion Glorieux, Legal Content Manager - AZKO
Référence de l’arrêt : CJUE 29 janvier 2020 C-371/18 Sky e.a / Skykick
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