Responsabilité pénale de la société absorbante : revirement de jurisprudence
Publié le :
26/01/2021
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En fin d’année 2020, la Cour de cassation a lancé un pavé dans la mare concernant la responsabilité pénale des sociétés absorbantes.
À la lecture de la décision, on observe que désormais et sous certaines conditions, une société anonyme absorbante peut-être responsable sur le plan pénal des infractions commises par la société absorbée.
Analyse de ce revirement de jurisprudence par le cabinet JURIDIAL.
En droit pénal général, il existe un principe de personnalité des peines posé par l’article 121-1 du Code pénal voulant que : « Nul n’est responsable pénalement que de son propre fait ».
C’est sur ce fondement que la Cour de cassation s’est toujours refusé d’accorder le transfert de responsabilité pénale entre sociétés dans le cadre d’opération de fusions-acquisitions.
Pourtant, dans un arrêt du 26 décembre 2020 la chambre criminelle admet que la société absorbante peut être condamnée pénalement à une peine d’amende ou de confiscation pour des faits constitutifs d’une infraction commise par la société absorbée avant l’opération.
Dans l’affaire en question, un incendie a lieu en 2002 dans les entrepôts de stockage d’archives d’une société, laquelle se voit assignée en 2017 du chef de destruction involontaire de bien appartenant à autrui par l’effet d’un incendie provoqué par manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi.
La société mise en cause a entre temps été absorbée par une société anonyme dans le cadre d’une fusion-absorption.
Saisie des griefs, la Haute juridiction rend un arrêt pédagogique expliquant son revirement de jurisprudence.
Influencée par la Cour Européenne des Droits de l’Homme* et sa position concernant la notion de continuité économique et fonctionnelle de la personne morale de ne pas considérer distinctement la société absorbante et celle absorbée et justifiant le prononcé d’une amende civile à l’encontre d’une société absorbante, la chambre criminelle considère qu’une telle position ne porte plus atteinte au principe de la personnalisation des peines.
Pour s’opposer jusqu’alors à ce qu’à la suite d’une fusion-absorption, la société absorbante soit poursuivie et condamnée pour des faits commis antérieurement par la société absorbée, la Cour de Cassation considérait que la société absorbée était dissoute par l’effet de la fusion absorption, lui faisant perdre sa personnalité juridique et entraînant l’extinction de l’action publique. La société absorbante étant une personne morale distincte, par application de l’article 121-1 du Code pénal, elle ne pouvait être poursuivie pour les faits commis par la société absorbée.
Cette jurisprudence avait pour effet d’assimiler la situation d’une personne morale dissoute à celle d’une personne physique décédée.
Position non adéquate compte tenu du principe de continuité économique cité précédemment et des règles posées à l’article L236-3 du Code du commerce transposant celles européennes** en la matière, selon laquelle la fusion-absorption, si elle emporte la dissolution de la société absorbée, n’entraîne pas sa liquidation. Le patrimoine de la société absorbée est en effet transmis à la société absorbante, tout comme les contrats de travail.
Ainsi, dans la lignée de la position adoptée par la CEDH et du droit positif interne, la Cour de cassation reconnaît qu’une nouvelle interprétation de l’article 121-1 du Code pénal est nécessaire, de sorte que la responsabilité pénale de la société absorbante puisse être engagée pour des faits commis par la société absorbée. Le juge constatant que les faits objet des poursuites sont caractérisés, peut déclarer la société absorbante coupable de ces faits, et la condamner à une peine d’amende ou de confiscation.
La Haute juridiction précise par ailleurs que « la personne morale absorbée étant continuée par la société absorbante, cette dernière, qui bénéficie des mêmes droits que la société absorbée, peut se prévaloir de tout moyen de défense que celle-ci aurait pu invoquer ».
Volte-face qui s’inscrit dans une logique de protection des tiers en plus d’entériner définitivement le moyen laissé à une société absorbée d’échapper aux conséquences des infractions qu’elle a commises au détriment des parties civiles.
Étant précisé que compte tenu du principe de sécurité juridique, une telle décision est dépourvue d’effet rétroactif et n’aura vocation à s’appliquer qu’aux opérations de fusions-acquisitions conclues postérieurement.
JURIDIAL Avocats
Référence de l’arrêt : Cass. crim 26 décembre 2020 n° 18-86.955
* CEDH 24 octobre 2019 n° 37858/14 Carrefour France c. France
** Article 3 de la directive 78/855 du 9 octobre 1978
Historique
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