La réglementation des « lootboxes »
Publié le :
28/06/2022
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Si vous êtes familier du monde du jeu vidéo, il ne vous aura pas échappé que certaines tendances ont émergées durant la décennie passée. Le jeu sur mobile et tablette a donné naissance aux « freemium » - des jeux gratuits, mais proposant des achats in-game, par exemple pour faire évoluer ses personnages ou pouvoir faire une nouvelle partie sans attendre une durée préfixée – dont l’un des meilleurs représentants est le mondialement connu Candy Crush.
L’autre tendance associée au freemium est celle des « lootboxes » : il s’agit de sortes de pochettes cadeaux virtuelles qui peuvent contenir tout et n’importe quoi : un nouveau personnage, des nouvelles armes, un nouveau véhicule, un nouveau costume, etc. Ces lootboxes peuvent être obtenues en jouant normalement au jeu, ou de manière plus simple et plus rapide, en payant.
Le contenu obtenu n’est pas déterminé et le hasard représente tout l’intérêt commercial de ces produits : le joueur qui désire obtenir un contenu spécifique aura tendance à payer plusieurs lootboxes jusqu'à ce qu'il obtienne ce qu’il voulait. Il est à noter que ces produits ne sont pas limités au freemium, les jeux « traditionnels » qui se trouvent dans le commerce pour un prix allant jusqu’à 70 ou 80 euros, sont aussi concernés.
À ce stade des explications, certains mots-clés ont normalement attiré l’attention du lecteur : « jeu », « argent », « aléatoire », les lootboxes ne seraient-elles pas des jeux d’argent qui ne disent pas leur nom ?
Un marché considérable
Il est d’abord à rappeler que le jeu-vidéo est un marché qui génère globalement des centaines de milliards d’euros par an, et qu’on estime le nombre de joueurs à environ 500 millions au niveau européen, et 2,1 à 3,2 milliards au niveau mondial. Les lootboxes sont quant à elles présentes dans des dizaines de jeux parmi les plus populaires. Il ne s’agit donc pas d’un épiphénomène, mais bien d’un modèle économique à part entière.Le public visé par ces pratiques a pour particularité d’être jeune, influençable, plus enclin à être tenté par l’appât du gain (même si le gain en question n’est que virtuel). Les campagnes marketings entourant les jeux comme les contenus qui peuvent être obtenus sont également massives, efficaces et présentes via tous les médias.
Mécanisme de dissimulation
Pour éviter que les lootboxes ne soient immédiatement considérées comme une loterie, l’industrie vidéoludique a mis en place un système en deux temps : le joueur se voit proposer d’acheter avec de la monnaie réelle de la monnaie virtuelle ayant une appellation in-game spécifique (« crédit », « points », etc.), et cette monnaie virtuelle permet dans un second temps d’acheter les lootboxes. Cette monnaie virtuelle peut par ailleurs être gagnée dans le jeu, en complétant des niveaux, en battant d’autres joueurs, etc. Le mélange de la monnaie virtuelle obtenue en jouant à celle obtenue en payant rend le problème plus confus : les éditeurs peuvent se défendre en expliquant qu’il n’y a aucune obligation d’achat pour profiter du contenu du jeu, que le joueur peut simplement faire preuve de patience pour obtenir les lootboxes sans dépenser un centime supplémentaire, que les options d’achat in-game ne s’adressent qu’à ceux qui ne veulent pas attendre.La réalité est qu’il est virtuellement impossible de profiter du jeu à son plein potentiel sans passer par l’achat de ces lootboxes, l’industrie encourageant une philosophie pay-to-win (payer pour gagner) qui gâche à la fois le plaisir de jeu, mais pourrait aussi être assimilée à une pratique commerciale trompeuse.
Jeu de hasard
Pourquoi de telles pratiques sont-elles tolérées ? Plusieurs pays de l’Union européenne ont interdit les lootboxes, et notamment la Belgique. En 2019, la Commission des jeux de hasard a ainsi considéré que plusieurs éléments permettaient d’identifier les lootboxes à des jeux de hasard : enjeu + gain probable / ou perte probable (si le contenu récupéré est déjà en la possession du joueur, ou si ce n’est pas le contenu qu’il souhaite) + part de hasard. Le ministre de la Justice pointait également des risques pour la santé mentale, en raison du risque d’addiction, proche de l’addiction aux jeux d’argent (tickets à gratter, slot machines, etc.)En France, la loi n’a pas été aussi rapide, notamment en raison de la définition des jeux de hasard : l’Autorité Nationale des Jeux (ANJ) précise qu’il faut « un sacrifice financier », « une offre publique » et « une espérance de gain ». C’est sur la définition du « gain » que le législateur français bloque, puisque le gain est ici entendu au sens patrimonial du terme. Ce blocage est d’autant plus incompréhensible que la revente de comptes de jeux en ligne est une réalité bien connue datant d’avant l’émergence de telles pratiques.
Pratiques commerciales trompeuses
Pour autant, la législation ne devrait pas évoluer outre mesure puisque le Code de la consommation permet, en l’état, de sanctionner les pratiques commerciales trompeuses. Les éditeurs font par exemple miroiter aux joueurs des possibilités de gains substantiels en jeu, promouvant la rareté de tel ou tel élément, sans jamais annoncer la probabilité réelle de gain.C’est en ce sens que l’association de consommateurs UFC-Que choisir a lancé l’alerte début juin 2022 devant l’inaction dans ce domaine et l’attitude des éditeurs qui souhaitent s’autoréguler, comme ce qui s’est fait pour l’âge minimum pour jouer aux jeux (système PEGI en Europe, ESRB aux États-Unis).
Or, si l’autorégulation semblait être un bon compromis pour avertir sur le contenu « moral » des jeux (présence de vulgarité, horreur, sexe, drogue, etc.) sans risquer de voir le contenu systématiquement censuré, il est difficile de savoir si l’industrie est prête à réguler un système qu’elle a elle-même construit et qui lui rapporte plusieurs dizaines de milliards de dollars par an…
Antoine ROUABLE - Rédacteur juridique
SECIB
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